nous ne partirons pas
cette banquise neurasthénique porte l'espoir
des morts qui ne sont pas nés
si belle soit la terre promise ailleurs en d'autres mondes
ce n'est pas ici
nous gèlerons sur place comme pères et mères
nous craquerons de froid de folie
nous ne partirons pas
que s'amènent les siècles les semaines les tiéndeurs
de toundra les planètes apprivoisées
nous ne partirons pas
derniers parmi les derniers plus pauvres que les plus pauvres
sauvages des musées balaniques caves des cris caverneux
nous ne partirons pas
assignés à demeure survolés de chimères croyables
repoussés
de terre la plus inhabitable taxés d'insomnies vidés
d'enfants viables mal logés entre les os et les os rayés
des dictionnaires sans plus rien des choses peut-être
humaines
nous ne partirons pas
nous ne partirons pas
notre patience
n'attend pas le temps de s'aimer
il lui faut s'armer
être dure et d'une pièce
ruser calculer comme âge d'or sur âge de fer
elle se plaque à nos poitrines elle va devant
marche elle trébuche tombe et se relève
au moment qu'elle frappe elle ne sait plus
sa faiblesse nous sauve et nous donne force
et par temps qui fulgure plus loin que les soleils aveuglés
elle connaît le rire bas des assis
grenouilles savantes
lunules clairvoyantes
raisons bedonnantes
profès transcendantes ô
et toute sagesse haut perchée
la minable la dépendante pauvre de patience
mais un matin suffirait
matin d'hommes ouverts
bêtise et bonté méconnaissables
un matin de tremblement liberté
d'une seule bannière
confettis des yeux découverts
mariage des sueurs toutes amères
un matin suffirait à la tuer
l'histoire peut bien dégringoler
au tournant
les villes se déshabitua
les jungles se tarer
les déserts éternuer
les machines s'accoupler
nous ne partirons pas
en pays travaillé de froid le feu loge en dessous
un grand silence de plaine bâillonne les montagnes-amours
rivières dans leurs os savent le chantage des glaces
chaque nuit reclasse des dents rien n'y fera
ni la douleur au fond certaine des tendresses nôtres
et pas davantage la promesse que
sur la langue les mots fondraient d'amitié
rien ni personne toi moi ni les autres semblables
tous tentés parfois de partir un peu vers un pays d'en haut
non
nous ne partirons pas
accrochés aux lambeaux d'inutile éternité
nous refuserons la fin des fins
nous ne partirons pas
nous avons pleuré nous avons sangloté
à la vue de cette terre insolite
et nous rirons ah oui
quand viendra comme un soleil mis au nord
une bonne fois encore
le retournement total