Fazekas Mihály: Lúdas Matyi-Harmadik levonás

Et Mathias ? Sans cesse traqué, il avait
Franchi à la faveur de la nuit la frontière ;
Une seconde fois, comment ? par quel effet
Rosser notre seigneur ? Sa pensée s'éclaire :
En voyage, il avait avec brio servi
Un bon moment un ex-médecin militaire
Jadis à l'étranger ; qu'il l'attendait, ravi,
Certes, il le savait, s'il offrait ses services
Comme apprenti... Ce fut le cas. La condition
Que le vieux accepta : lui enseigner, d'office,
Pour tous les maux connus, leurs appellations,
Celles d'herbes, de poudres, selon lui, utiles,
Puis comment manier le scalpel, l'injecteur*,
Le pot*, le bistouri, et d'autres ustensiles,
Ceux d'ambulanciers, puis quels soins médicateurs,
Bains ? vapeurs ? onguents ? et ceux en cas de blessures.
Comme fonctionnait sa tête à Mathias !
Tout au plus : dix-quinze jours et déjà en mesure
Dans les langues d'alors de vous citer, cet as,
Les noms grecs et latins des graves maladies !
Le doc Scorbuntzius lui prêtait, vu ses dons
(Le fait qu'il sache aux maux comment l'on remédie),
Son coursier, sa perruque, aussi son espadon,
Son pantalon de cuir, son manteau de campagne,
Pour qu'il puisse fêter ses Pâques au seigneur,
Prêt sur beaux gages qu'une promesse accompagne...
Voici les oripeaux mis pour être docteur :
Pantalon, espadon, perruque, collerette ;
De voir comme il le singe, doc Scorbuntzius
Fut secoué d'un rire que plus rien n'arrête !
Ses adieux faits, il part ; à Döbrögi court sus,
Sur sa monture aubère. Lequel, s'il n'est quitte
Des bleus de la dernière rossée, -eh oui quoi,
Promesse oblige!- doit s'attendre à sa visite.
Les heïduques qu'il a, portant lances, carquois,
Tant d'entours ne sauraient en rien tenir en bride
Mathias agacé, un bâton brandissant !
Quoique au village avant il eût loué un guide,
Une fois à Döbrög, au juge, soi-disant,
Parce que -criait-il- un général malade
Quelque part l'attendait, en priait un nouveau.
(Chose crédible : on vit lors laissées en rade,
Des troupes étrangères par monts et par vaux
Courir notre pays). Avant tout, lui complaire,
Sans trop répondre, puis, hop ! mon juge au seigneur
Vite de l'annoncer « médecin militaire » !
S'il est recommandé, untel qu'il soit soigneur
De chevaux, charlatan, charron, quelle importance ?
Döbrögi s'y raccroche autant qu'à leur avis :
Tout, sauf son martyre, et le mande avec instance :

Qu'il sonde sa misère un instant lui suffit ;
Qu'il craigne Dieu : pour ça, que de promesses faites !
Pour voir son général, son coche, il le prêtait ;
Mathias rechignait... On changea d'estafettes :
Lors, lui bon gré mal gré cessa de s'entêter.
(La chose, bien que tue, aisément se devine :
Si pour le moins étrange s'est fait son parler,
Mathias a changé également de mine.)

Notre seigneur, le pauvre, encore tout troublé
Par trois tenaces bosses au dos, mis en boule,
Alité, à l'approche du faux médecin,
Hors de sa peau bleuie quasiment s'écoule.
Et d'implorer le ciel, la terre, à ce dessein
Que s'améliorât son sort si misérable !
Mathias prit son pouls, trouva comme échauffé
Son sang dégénéré par un mal incurable :
Sur-le-champ bain et pot seuls peuvent le sauver !
Si ça monte au coeur, là... puis l'épaule a haussée.
Döbrögi tous les saints lors de les invoquer
Pour que Dieu lui transmît par eux la panacée.
L'autre en docteur, un doigt sur le front appliqué :
« De l'eau ! un bain ! les herbes suivantes et vite ! »
Cent plantes herbacées des bois et des prés,
Dont le nom usuel pour chacune aussi-
Tôt par Mathias fut d'un coup énuméré :
Cerises de lièvre, de loup, d'amblystone,
Épines d'âne et chien, d'ours et de cochonnet ;
Et puis : racines d'ange, de saints, de démones...
(Car bêtes, diable ou saints, à l'herbe, un nom donnaient
Avant les herbiers.*) Allez, hop ! contremaîtres,
Heïduques, cuisiniers, cochers, cuistots, valets,
Jardiniers, bûcherons, serfs, de tirer leurs guêtres !
Bref, tout le personnel courait hors du palais :
Devant, derrière, au pré, au bois, au champ ; l'un veille
À l'eau pour le chaudron ; l'autre, au bois pour le feu ;
Et la seule à y être restée, une vieille,
Parce qu'elle boitait, lui, malin comme deux,
À dessein l'envoya, comme on envoie paître,
Prier pour obtenir cette grâce de Dieu,
Qui donne force aux herbes, là-bas, chez le prêtre.
Là-dessus, Mathias ne quittait plus des yeux
Les tempes du seigneur. Et, d'un mouchoir qu'il ôte
De sa poche, les presse puis, lui en couvrant
La bouche, dans la nuque aussitôt le garrotte :
« Docteur, moi ? non, monsieur ! pour qui l'on me prend ?

Mathias des oisons, lui que vous fîtes battre,
Dont vous voliez les oies, qui s'est bien juré...
Euh ... trêve de parlottes ! je suis, moi, ce pâtre,
Pour votre second dû, pour vous le procurer,
-Languir étant le pire- là, à la seconde !
Pour la troisième fois, dans les délais encor,
Je paierai votre dû, oui, si Dieu me seconde. »
Ce disant, il frappait méchamment tout son corps ;
Puis, de sous l'oreiller prit la clef pour les pièces :
« Prix de mes oies plus mes frais ! » -s'écria-t-il,
Se servit, salua, sortit tout d'une pièce,
Et hop ! sur son coursier... devint gaz volatil.
Quand les herboriseurs rentrèrent leur récolte,
Une bonne courut, la première à aller,
Vit Döbrögi tout drôle, ayant crié, fit volte-
Face et sortit ; son cri ameuta le palais.
L'un : « un problème ? » , un autre : « où le docteur se terre ? »
Mais ça et ce bâillon, tous étaient intrigués :
Leur seigneur, qui pouvait -diable!- le faire taire ?
Qui ? c'est simple : écoutons trois mots de Döbrögi
Certes, qu'on eût cru mort, s'il n'eût été lucide,
Proférés lentement : « c'est lui, c'est ce berger,
Mathias des oisons, l'auteur de l'homicide ! »
Lors, ceux qui l'ont pu, hop ! un cheval d'enfourcher
Mais, sa piste perdue, ils firent fausse-route...
Allez savoir qu'il va, moqueur et plein de sous,
Chez monsieur Scorbuntzius, hormis Dieu, qui s'en doute ?